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chroniques d'une princesse au petit pois...douleur chronique...
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Je réponds avec plaisir à toute question ou commentaire...
Pourquoi Princesse au petit pois???

index      Ma grand-mère me disait: "Tu es une Princesse". Longtemps, je l'ai crue.
Ce que je ne savais pas, c'est que j'allais devenir une Princesse au petit pois. La douleur s'est invitée peu à peu dans mon corps.
Une douleur chronique, handicapante, lancinante.
Un mal qui a pour origine un déséquilibre du système modulateur de la douleur. Trop de lombalgies aigues répétées pendant trop d'années, et mon cerveau a saturé face à tant d'influx douloureux. La douleur s'est installée définitivement dans le dos, et a gagné épaules, genoux..., resistant à tous les traitements et opérations chirurgicales. Après une longue errance, quelques années de chemins de traverse et une équipe pluri-disciplinaire en centre anti-douleur, j'ai retrouvé confiance et espoir.

25 mai 2014

L'échelle

Chroniques en milieu hostile

24h aux Urgences

 L'échelle

 

 

Un, deux, trois, quatre...dix anneaux au rideau d'en face. Dix ou onze. Je recompte sans cesse. Ça m'agace de n'être pas certaine. S'il y en a dix, ils me laisseront partir. S'il y en a onze, c'est beaucoup moins sûr. Biiip Biiip ...C'est une nouvelle langue pour moi, la langue des urgences.

Ça fait Biiip tout le temps, partout. Ça fait Biiip... ça fait mal,Madame ?

 

Je devine la question qui suivra. LA QUESTION. « Sur une échelle allant de 0 à 10 , comment situez- vous votre douleur ? » Une échelle de 0 à 10. De tout mon séjour à l'hôpital, je n'aurais jamais su répondre correctement. Recalée à l'examen de l'échelle. J'ai envie de répondre autre chose qui décrirait mieux ma douleur. « 20 sur 10 » , voilà, je dis « 20 sur 10 ». Aucun liquide injecté dans mes veines ne réduira ma douleur. Je voudrais qu'ils enlèvent la poche « Acupan » et qu'ils distillent en moi la poche « mes enfants » et une poche « la peau de mon homme ».

Ah ah ah ! Ils hurlent de rire dans leur pièce. La pièce qu'on ne voit pas, celle d'où ils sortent pour poser LA question. Tout hurle ici d'ailleurs. Eux de rire, lui de douleur (on le camisole rapidement à coup de morphine, ouf), moi de manque.

« Sur une échelle de la cabane de vos enfants, à quel point ils vous manquent ? »



Sur une échelle de 0 à... 10...C'est officiel ! Il y a dix anneaux. L'aide soignante a tiré le rideau et j'ai pu recompter. Je ne souffre plus, il y a dix anneaux.

C'est très important, les chiffres, dans ce service. Ils symbolisent des paramètres très différents. Un 11 peut être Byzance ou le débarquement de quatre infirmiers inquiets autour d'un patient.

Biiip Biiip...ça veut dire que tu es en vie, ça veut dire que tu sauras évaluer ta douleur sur une échelle de 0 à 10.

 

Ah Ah Ah ! C'est l'infirmier trop jeune pour être chauve qui semble les faire rire : « il faudrait un tunnel entre nous et la morgue. Et hop, le vieux, aspiré ! ». Je suis tout en haut de l'échelle, sur le barreau où on ne sait plus si on a mal ou si on va vomir. Cela signifie-t-il que nos blagues d'instits pendant la récré ne les feraient même pas sourire ? Car nous aussi, pour se détendre, on grimpe tout en haut de l'échelle, et on dit des horreurs. Telle petite, habillée comme une lolita à cinq ans, deviendra vite une espèce de prostipute comme sa mère. Ah Ah Ah, c'est odieux, ça soulage.

Ça nous libère de notre colère : « Mais quand même, le COD, ça fait trois ans qu'on apprend à le reconnaître, « entrera » n'est PAS le COD ».

Biiip, allez, sortez...le COD était « l'indienne »...Peau-Rouge.

« Et mon fils, sur une échelle de 0 à 10, vous le situeriez où? » demande la mère, fébrile.

Euh... « 0 », ne pas trouver le COD, fin CM2, je le situerais à 0. Mais je ne dirai jamais ça à cette maman livide, elle aurait 10 en douleur. « Il manque un petit peu de maturité », je répondrai.

 

Aux Urgences, il faut tout cacher, aucune intimité. Interdit, le portable. Alors j'ai réfléchi longtemps. Sur une échelle de 0 à 10, j'ai réfléchi jusqu'à 10. Parce que mon portable, ils ne peuvent pas me l'enlever. Ils peuvent me piquer, m'empêcher de prendre une douche pendant quinze jours, ils peuvent déplacer ma montre à la main droite (mais quelle hérésie!) pour placer un cathéter, mais me priver de mon portable, non. C'est mon échelle pour sortir de là, mon échelle pour grimper jusqu'à ma vraie vie. Alors je l'ai caché, à la ceinture, près des hanches. Et puis IL a vérifié mon pansement. C'est évident qu'il a repéré mon téléphone, mais il n'a rien dit... Amis pour la vie.

 

 

« Il y a encore du gâteau dans le frigo ! On va vérifier les urines. Attention, inspirez...je pique. Vous toussez, Monsieur, en ce moment ? Elle est où la patiente du cinq ? Dans ton cul ! Attention au coma diabétique. Je vous touche la joue, vous le sentez ? Ça vous fait du bien?Tu fais un flash de six unités, et après tu branches. Prends un pousse seringue, vite, vite. Je reste à côté de vous, promis. Je suis encore là.

Les urgences, maintenant, c'est du dépose-minute. Il nous laisse la vieille, il fait ses courses, et après il revient la chercher. Pourquoi elle est fatiguée ?, il nous demande. Ben parce qu'elle a quatre vingt sept ans... »

 

Pour donner des nouvelles et en recevoir, il faut suivre un protocole secret : il faut d'abord faire semblant d'aller aux toilettes, parce que la sortie, celle d'où on pourra appeler, s'appelle :

MAINTENIR CETTE PORTE IMPERATIVEMENT FERMEE

Et cette porte est juste à côté des toilettes. Parfois c'est trop facile parce qu'elle n'est impérativement pas fermée du tout. Mais la plupart du temps, les consignes ont été respectées. Et même si sortir est possible, une fois la porte refermée derrière soi, on ne peut plus rentrer à nouveau. Car de l'autre côté...il n' y a pas de poignée. Heureusement, il y a la brancardière, celle à qui j'ai parlé longtemps, qui prend son rôle de passeur très à cœur. Elle ouvre la porte impérativement fermée. Un clin d'oeil, et je m'échappe, dans le couloir où le portable passe. Biiip Biiip, je reçois d'un coup tous mes messages, Biiip Biiip, je peux appeler. Bien sûr tout cela n'est possible que si on n'est pas branché à des poches de médicaments, à l'aide de cette petite seringue glissée sous la peau et qui laisse pendant plusieurs jours le souvenir de sa cuisante morsure et une petite trace rouge... Peau-Rouge.

 

Allez, je m'isole, paix intérieure, je sors mon lecteur de musique. J'avais tout prévu pour passer ce temps hors temps : des enregistrements détente, de la relaxation. Mais le chant des baleines me donne vite des envies de meurtre...Pas bon pour la diabétique qui ronfle à mes côtés. Alors j'éteins.

J'allume ma petite veilleuse rouge, rescapée du mariage de Cécile et qui est devenue, depuis quelques heures, mon ange gardien. Une loupiote, un feu de camp miniature . Je la pose là où ça fait mal, à côté de mon dos, derrière la nuque, au creux du nombril...Parfois je m'endors dessus, la face éclairée par la lueur de la veilleuse...Peau Rouge.

 

Que fait-on quand on n'a pas une maladie grave et qu'on est coincé sur un brancard aux urgences ? On constate que le temps n'existe pas. On vit au rythme des médecins qui croisent des infirmières, éternellement. On vit au rythme des douleurs des autres, et de sa propre douleur. Une douleur qui ne laisse aucun souvenir. On ne se souvient pas de la douleur, seules restent les émotions qui lui sont associées. Je me souviens comme j'étais gêné, malheureux, désemparé, handicapé, quand j'avais mal...

Et quand le temps est ainsi suspendu, on ne résiste plus, on accueille.

De cet état de présence émerge la nécessité d'être debout en soi-même, quelle que soit sa condition.

Debout sur une échelle de 0 à 10, aux Urgences.

 

Marion Juin 2013

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