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chroniques d'une princesse au petit pois...douleur chronique...
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Pourquoi Princesse au petit pois???

index      Ma grand-mère me disait: "Tu es une Princesse". Longtemps, je l'ai crue.
Ce que je ne savais pas, c'est que j'allais devenir une Princesse au petit pois. La douleur s'est invitée peu à peu dans mon corps.
Une douleur chronique, handicapante, lancinante.
Un mal qui a pour origine un déséquilibre du système modulateur de la douleur. Trop de lombalgies aigues répétées pendant trop d'années, et mon cerveau a saturé face à tant d'influx douloureux. La douleur s'est installée définitivement dans le dos, et a gagné épaules, genoux..., resistant à tous les traitements et opérations chirurgicales. Après une longue errance, quelques années de chemins de traverse et une équipe pluri-disciplinaire en centre anti-douleur, j'ai retrouvé confiance et espoir.

25 mai 2014

Les Déglingués

Les Déglingués

Je termine ma cinquième semaine en hospitalisation de jour, en rééducation fonctionnelle, chez les déglingués.

Le déglingué du dos est une race à part, il n'a pas une vie normale, faire quelques courses ou quelques kilomètres en voiture sont une épreuve. Personne n'a de vraie solution à son problème, aucune opération ne sera satisfaisante. Alors on l'envoie en centre fermé, en rééducation, et il fait plus de six heures par jour, pendant au moins cinq semaines, du sport intensif et de la musculation sur des machines qui n'existent que là bas. Il rencontre alors d'autres spécimens de son espèce, avec des disques inter vertébraux complètement morts, avec des hernies inopérables et des glissements de vertèbres, et il rit beaucoup avec eux. Là bas, il ne se sent pas différent des autres, il vit tranquillement sous leur regard...bienveillant.

Il y a celle qui était infirmière, et qui aujourd'hui n'est plus qu'infirme. Il y a celui qui vient exprès de Nouvelle Calédonie, parce qu'aucun chirurgien au monde ne veut risquer d'opérer sa colonne déglinguée, malgré tout l'argent qu'il a. Il y a celle qui ne peut plus pour l'instant jouer dans sa fanfare, parce qu'elle ne peut pas porter son instrument, et que tout trajet en voiture est difficile. Mais celle-là a de la chance, car elle n'habite pas loin, et elle peut rentrer chez elle retrouver sa famille le soir. C'est son mari qui s'occupe de tout quand elle n'est pas là, comme il le fait depuis longtemps, avec bienveillance. Les autres sont séparés des leurs et dorment à l'hôpital, double peine. Il y a celui qui a plein de tatouages amusants, mais qui n'a fait rire personne quand il a montré celui gravé sur ses lombaires: une bulle de B.D. avec un grand "AÏE..." écrit dedans. Il dit que c'est son tatouage le moins risqué, car sa douleur est indélébile. Il y a celle qui est restée trois jours, et qui est repartie sur un brancard pour une opération en urgence, sa quatrième en deux ans...

Pour pouvoir faire son programme, un déglingué doit absorber toutes sortes de pilules de toutes les couleurs. Anesthésié, il a moins mal, alors il rit tout le temps. Quand un déglingué a terminé le programme, il repart chez lui, après avoir dit au-revoir aux autres déglingués, c'est un moment très intense, parfois on pleure en prononçant quelques mots...bienveillants.

Parmi "Ceux qui marchent debout", il y a une autre espèce de déglingué, les TE (Troubles de l'équilibre). Le TE a un truc dans le cervelet qui délire, ou a eu un AVC, et du jour au lendemain, il perd tout équilibre. Bourré à vie, sans répit. Alors il marche en titubant, se cogne dans les portes, et tombe souvent. Quand on l'aide à se relever, il dit en riant: "zut, j'ai encore trop tassé mon jaune!" et il repart vers des machines de la Nasa qui vont le secouer dans tous les sens. On rit aussi beaucoup avec les TE. On aime bien les traiter d'alcolos, mais on fait ça en leur tenant la main...avec bienveillance.


Puis il y a "ceux qui roulent assis", comme Ted, 25 ans, qui a sauté d'un arbre, comme ça, pour rigoler, et qui est dans un fauteuil roulant, comme ça, pour la vie. C'est avec lui que les déglingués rient le plus, car il trouve qu'il est moins handicapé qu'eux, et il raconte avec plaisir qu'il a toutes les filles qu'il veut depuis qu'il est paralysé.

Quand il rit, on dirait que c'est Noël.

Il y a aussi l'écossaise, sclérose en plaque, qui ne peut plus bouger, mais qui veut qu'on la maquille tous les jours. Quand l'aide soignante n'a pas le temps, elle arpente les couloirs en fauteuil électrique à la recherche d'un déglingué qui voudra bien le lui faire. Un jour j'ai eu la chance de la farder, et en la regardant de près, j'ai vu qu'aucun fard ne pourrait rivaliser avec le bleu de ses yeux. Elle a été trois fois reine de beauté chez elle. Son mari l'a quittée à l'annonce de sa maladie.
Il y a "ceux qu'on ne voit jamais", ils sont cloîtrés dans leur chambre, trop malades, trop opérés, trop déprimés. Ils ne sont ni debout, ni en fauteuil, ils sont couchés. Avec eux on ne rit jamais, parfois même on en entend pleurer.

Et puis il a les blouses blanches, infirmiers, kinés, médecins, aide-soignants, ergos, physio, sophro, psy, ostéo, posturo...Eux aussi, ils rient beaucoup, mais entre eux. Les déglingués ne rient pas trop avec eux, ils préfèrent raconter leurs bêtises à voix basse, comme au collège. Les blouses blanches piquent, caressent, mesurent, arpentent, veillent, bordent, inventent, massent...avec bienveillance. Le déglingué adore les blouses blanches qui s'occupent de lui. Parfois c'est la première fois qu'on s'occupe vraiment de lui.

Quand je reprendrai le travail, je sais que j'aurai toujours mal, mais je pourrai mieux me baisser, me tourner, marcher, faire de la voiture, entre les crises.

Il faudra surtout que je me réhabitue aux questions des non-déglingués: "Pourquoi t'as mal au dos? T'as pas fait l'école du dos? T'as essayé l'homéopathie? Et si c'était psy? Pourquoi tu ne te fais pas opérer? t'as déjà fait de l'ostéo?"...

 

Alors, sans m'énerver, je prendrai le temps d'expliquer que les déglingués ne guérissent jamais mais qu'ils peuvent encore beaucoup rigoler. Et je le dirai sans animosité, sans jalousie, juste avec...bienveillance.

 

Marion le 13/03/2013

 

rééd

 

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